05/11/2010
Absence
Je cours, je cours, je cours. Jogging inutile du dimanche matin. Essoufflé, je m’arrête un instant, les mains sur les genoux, fatigué au bout d’un quart d’heure à peine. Je sens l’humidité de ma transpiration, le T-shirt me colle à la peau.
Je reprends ma course. Finir juste un tour de parc, histoire de n’être pas sorti pour rien. Je me concentre sur cette chanson des Beatles qui tourne en boucle dans mon iPod. Il a fallu qu’il se bloque sur Yellow Submarine. Bof. Je me rappelle du jour où elle a pris ce fichu appareil, pour une mise à jour ou je ne sais quoi. Elle a voulu fignoler la playlist, me rajouter des chansons que je ne lui demandais pas. Les Beatles, c’est sa marotte à elle.
Maintenant elle est partie, et je cours au son d’une seule et unique chanson, qui ne me rappelle rien que son absence.
Je m’arrête à nouveau. Je ne suis pas si vieux pour me fatiguer si vite, mais je n’aime pas courir pour rien. Et là, je cours après son ombre. Je vacille, je tombe à genoux, devant un banc du square près de la maison.
La maison. Notre maison.
Je rentre doucement, épuisé par la course. Je gravis les quelques marches qui mènent au perron et si je franchis la porte avec hâte, Clark le chat sort précipitamment. Fichu chat, qu’elle a laissé aussi. « Tu comprends, il s’est plus attaché à toi qu’à moi… »
Sous la douche, je repense au parcours de la course, ces rues empruntées, le square où je ne suis allé qu’une fois avec elle. Les séquences de notre vie me reviennent à l’esprit. C’est un algorithme simple de hauts et de bas, les mêmes revenant sans cesse pour les mêmes séquences…
Son caractère doux mais opiniâtre faisait d’elle une redoutable femme. J’aimais son esprit fantasque, son imagination aussi étrange que romantique.
Revenu dans la chambre, je caressais du doigt cette pierre noire qu’elle avait ramassée lors d’une de nos promenades. « Un bétyle !» s’était-elle exclamé. Un bétyle…. Elle avait continué sur sa lancée : « oui, un bétyle, c’est un signe !! Je ne suis pas folle, je ne suis pas en train de te dire que Dieu nous parle, mais là, cet endroit, cette pierre noire ici, c’est un signe mon ange ! »
Un signe de quoi, je ne l’ai jamais su. Elle s’était reprise. Aussi vive que superstitieuse, elle ne voulut jamais me dire de quel signe elle s’était persuadée…
Je me retrouve à observer cette pierre noire, qui n’est qu’une vulgaire pierre, même pas un onyx, rien qu’un caillou qui vient encore me rappeler son absence.
La cuisine est propre et silencieuse. Les placards seront certainement vides, je ne me souviens pas avoir fait les courses récemment. Je trouve des chamallows, du Malibu coco et des fraises Tagada, autant de saloperies laissées ici par elle. Je ne regarde pas les dates de péremption, mais je ne donne pas cher de leur limite. Je n’y touche pas. Tout ça peut bien se momifier dans ce placard des mois encore, je n’y toucherai pas. Si j’avais une nature à tenir des propos diffamatoires, je pourrais dire qu’elle ne savait acheter que des conneries à manger, nous obligeant la plupart du temps à dîner dehors. C’était plaisant.
Une omelette vite préparée, vite avalée, je retourne à la chambre m’allonger dans le noir.
Cette course stupide que personne ne m’oblige à courir, c’est idiot, ça m’épuise. Une autre séquence : sur le lit un de ses foulards. Une femme qui laisse tout derrière elle, jusqu’à son foulard préféré, qu’est-ce donc ?
Je ne me pose la question que pour la forme. Je m’allonge, près du foulard, qui me nargue depuis les quelques mois qu’elle est partie. Je fini par l’attraper. Il tintinnabule… Je n’avais jamais remarqué ces drôles de sequins sur le côté. Pourtant je me rappelle de ce bruit. Un effet de mon imagination ? Ou bien l’ai-je vraiment entendu quand j’ai défait le nœud du foulard, autour de son cou, avant de le poser sur le lit, et d’entendre ces mots qu’elle avait à me dire. Puis un autre bruit, sourd, le bruit de ses pas. Elle s’en va. Encore une fois. Comme chaque jour, depuis si longtemps.
Je m’allonge, et je m’endors. Demain je penserai à changer l’ordre des choses. Demain.
**Texte écris dans le cadre du jeu d'écriture de Livy*
Mots à placer : humidité, chamallow, Beatles, chanson,Yellow Submarine, algorithme, chat, fraise tagada, sequins, bétyle.
00:05 Écrit par Océane | Lien permanent | Commentaires (5) | | Facebook |
Commentaires
Amusant, nous avons placé le mot 'marotte' aussi... ;-)
Joli texte, j'aime comment tu as placé le mot 'algorithme'.
Sur la fin, lorsqu'il défait son foulard, j'ai cru qu'il l'ôtait à un cadavre... ou je sais, mon côté noir. ;-)
Bravo !
Écrit par : Livvy | 05/11/2010
J'aime bien la coïncidence du point commun ! Pour la fin, j'avoue avoie hésité, avant d'opter pour celle-ci !
Écrit par : Océane | 05/11/2010
défi réussi et pourtant les mots n'étaient pas commun.
bravo
Écrit par : Reinette | 05/11/2010
J'aimerai bien lire la suite ! Tu tiens un début de Polar OU un début de roman classique OU un début d'autre chose. Cependant, c'est assez inquiétant et je militerais pour un polar !
Écrit par : hurluberlulu | 06/11/2010
@Reinette : Merci du compliment !
@Hurluberlu: je ne sais pas s'il y aura une suite, peut-être...
Écrit par : Océane | 28/11/2010
Les commentaires sont fermés.