Getter

Le givre faisait comme une parure aux fleurs du jardin. De jolis pétales survivant à cette aube glaciale… Je cherchais des yeux Lanna, le petit chiot de la maison.  Elle n’était ni à l’intérieur, ni au jardin. Vive et impatiente, elle avait du profiter de son petit gabarit et d’un accro à la grille du jardin, pour s’échapper.  Fatiguée et agacée, je finis par enfiler une paire de vieux godillots pour partir à sa rechercher.  J’espèrais simplement qu’elle serait en train de gambader dans la rue… La mine grave, je scrutais l’horizon. Debout sur le trottoir, je ne savais par quel bout du quartier commencer mes recherches. Je restais là, suspendu dans mes pensées, quand j’entendis du bruit venant de mon garage.

Ha ha ! La coquine ! J’étais certaine de surprendre ma petite Lanna à faire des galipettes dans le fatras du garage. Mais au lieu d’un petit chiot joyeux, je découvrais Lanna, coincée sous une étagère du garage, en train de gémir. Je l’aidais à sortir de sa prison, en me demandant quelle idée grotesque avait pu traverser son petit cerveau de chien. Une fois revenue dans mes bras, elle se remit à grogner, à s’agiter en direction de l’étagère. Je me penchais, pour tenter d’apercevoir l’objet de son agitation. Sous l’étagère se trouvaient seulement une plume de coq, abandonnée par un des gallinacés du jardin,  et un gland. Peut-être des jouets improvisés pour Lanna, qui n’avait de cesse de toucher à tout et de jouer avec tout ce qui passait à sa portée. Je prenais ces petites choses avec moi, et Lanna sur mes talons, nous retournâmes à la maison. Moi d’un pas prudent, et Lanna au galop, comme toujours.

J’étais heureuse de la retrouver, enfin. Ce petit chiot était devenu pour moi un compagnon indispensable, dans ma nouvelle solitude. Le galimatias de mes pensées me ramena à toi, encore une fois. Ton départ, froid et tranchant, m’avais laissé le cœur glacé et racorni, comme ces fruits attaqués par le givre du matin. Je n’avais  pas de sombres pensées, non. Je ne pensais plus. Je ne voyais plus rien de bon chez les autres.  Plus rien de bon dans la vie.  Je ne cherchais plus rien, ni l’amitié, ni l’amour, ni la haine. Je restais un corps vide. Les gargouilles au fronton de Notre-Dame avaient certainement plus d’âme que moi.

Tu avais pris un autre chemin, simplement, voilà ce que j’aurais du comprendre. Tu voyais la vie comme une partie d’échec, avec une stratégie bien à toi. Et dans ta quête de gloriole, tu n’avais que faire d’une compagne moins ambitieuse. Je n’étais plus que le petit grillon du foyer, gênant.  Dans un gambit magistral tu as su sacrifier la pièce inutile que j’étais devenu, pour obtenir cette autre femme, la femme idéale de ta nouvelle vie idéale.

Tu te rappelles nos conversations passées ? J’aimais comparer les gens et les choses à des caractères d’imprimerie. Toi, tu étais un homme fort, avec les vertus classiques des gens bien, fiable et précis, un homme Garamond. J’aimais t’entendre répliquer que j’étais ta femme Helvetica, neutre en apparence, mais signe de l’harmonie totale.

Elles sont loin ces divagations autour de la typographie.  De quoi peux-tu discuter avec ta nouvelle compagne ?  De l’harmonisation des rideaux avec ta cravate du jour ? Je me laisse parfois aller à un peu de mesquinerie je l’avoue.

Tu ne me manques pas, puisque tu n’existe plus tel que je t’ai aimé, mais le souvenir de ta voix, de tes intonations dans mon oreille, au creux de la nuit, ça oui, ça me manque souvent.

Il faudrait que je retrouve moi aussi un chemin à parcourir, le mien…

Lanna sautille dans la cuisine, elle voudrait bien jouer encore je crois. Le giraumon qui mijote doucement, les clous de girofle sur l’orange, tout cela parfume l’air d’une odeur gourmande. Tout va bien.  

 

 

 

Mots à utiliser : GIRAUMON – GAMBADER – GARAGE – GIVRE – GARGOUILLE – GAMBIT – GALOP – GABARIT – GLORIOLE – GALIPETTE (S) – GALLINACÉ – GRILLE – GLAND – GROTESQUE – GEMIR – GOURMAND – GODILLOT – GRAVE – GRILLON – GALIMATIAS – GIROFLE – GARAMOND

Ecrit dans le cadre des plumes de l'été d' Asphodèle